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Haiti-Rép. Dominicaine : Hispanisme exacerbé, indianisme fictif et antihaïtianisme chez les Dominicains

 Comme en Europe et en Amérique Latine, la construction de l’Etat-nation en République Dominicaine au XIXe siècle a été l’œuvre d’une classe sociale (la bourgeoisie) qui sous le couvert de défendre les intérêts collectifs du pays élaborait toute une infrastructure idéologique, politique et culturelle en vue de définir l’identité culturelle de la nation dominicaine. Cette infrastructure idéologique contribuait à occulter son hégémonie sur les autres classes sociales et à faire accepter la structure économico-sociale du pays comme relevant d’une loi naturelle. Ainsi, nous relevons trois facteurs qui ont cimenté idéologiquement le discours identitaire de cette classe hégémonique en République Dominicaine : l’hispanisme exacerbé, l’antihaïtianisme et l’indianisme fictif. Nous allons les analyser respectivement, puis nous tacherons de critiquer la conscience historique dominicaine par rapport à Haïti.

 D’abord, il convient de préciser le sens de l’idéologie. Il n’est pas facile de la définir. Toute définition est limitée et renvoie à des prises de position partiales et partielles. On ne dit jamais qu’on parle au nom d’une idéologie. L’idéologie renvoie toujours aux idées des autres. Depuis l’invention du terme par Destutt de Tracy (en Eléments d’idéologie, publié entre 1801 et 1815) et sa critique par Napoléon, jusqu’aux auteurs marxistes, non marxistes, postmarxistes et les auteurs de l’Ecole de Francfort, l’idéologie est l’objet de multiples controverses. Ainsi, on peut relever deux concepts d’idéologie : épistémologique et sociologique. Le premier renvoie à la théorie de la connaissance. Chez Karl Mannheim (Utopie et Idéologie, 1929), l’analyse de l’idéologie renvoie à une sociologie de la connaissance. Le deuxième concept renvoie à une théorie de la société, et les définitions de l’idéologie ne font pas l’unanimité. Pour notre compte, le concept est utilisé dans le sens d’une vision inversée de la réalité. Dans ce sens, l’idéologie médiatise le rapport de l’homme avec le réel. Dans cette médiation, il y a déformation, inversion et distorsion en vue d’une manipulation.

a) L’hispanisme exacerbé

L’intellectualité dominicaine au XIXe siècle affichait un hispanisme exacerbé, considérant les traditions espagnoles comme les fondements de la culture dominicaine. A la différence de l’Amérique où l’Espagne était vue comme le Moyen Age, l’anti-modernité, la république voisine exaltait les valeurs hispaniques, en vue d’occulter toute trace culturelle africaine. Dans son article Génesis de las naciones haitiana y dominicana, Gérard Pierre Charles souligne que la nationalité dominicaine repose dans son processus de formation sur un élément constitutif de premier ordre : la continuité du fait culturel représenté par l’influence espagnole sur les plans linguistique, ethnique, religieux et juridique. Cette idéologie hispanique est la base de la fausse conscience sur l’être national dominicain en écartant tout apport de la tradition africaine. Une telle idéologie s’exprime dans les ouvrages historiques, littéraires et les pratiques quotidiennes. Il s’agit d’une véritable néo-colonisation de l’imaginaire social dominicain à partir de l’idéologie hispanique.

b) L’indianisme fictif

L’indianisme fictif est une autre composante de l’idéologie de la classe dominante concernant le discours identitaire en République Dominicaine. Il s’agit d’un indianisme fictif parce qu’il n’y a plus d’indiens en république voisine depuis la conquête et la colonisation de l’île par l’Espagne. Cette idéologie indianiste fait écho au grand mouvement de construction nationale au XIXe siècle quand les Etats européens cherchaient des marqueurs symboliques d’identité nationale. On sait que ce siècle est appelé le siècle des nations en Europe et le romantisme lui fournissait ses bases culturelles et linguistiques. Dans toute l’Europe, l’accent était mis sur les langues nationales, les héros nationaux, les spécificités culturelles, l’importance de l’histoire nationale. Il s’agissait de construire la nation à partir des mythes tirés du répertoire national. Le philosophe allemand Herder et les autres philosophes irrationalistes ont joué un rôle essentiel dans le nationalisme culturel allemand. En République Dominicaine, le mythe national reposait sur la figure de l’Indien. Le roman de Manuel Jésus Galvan – Enriquillo en 1882 – participait de cette célébration mythique du passé en vue de construire la mémoire historique et l’identité nationale dominicaine. Ce roman contribuait à créer fantasmatiquement la dimension ethnique de la nation. Ainsi, pour exorciser la couleur noir en ce qui concerne le mulâtre et le noir, on en vient à parler de « indio oscuro » et « indio quemao », évoquant un passé indien et romantique, au lieu du tribalisme africain et l’esclavage. Si dans le national-socialisme hitlérien le juif a été l’ennemi numéro un, le discours nationaliste dominicain voit en l’haïtien ce diable à combattre perpétuellement.

c) L’antihaïtiansime

C’est la troisième composante de l’idéologie nationaliste dominicaine et renvoie au rapport masochiste et pathologique que la république voisine entretient avec l’histoire, une histoire non assumée et dépassée mais plutôt refoulée. Pour identifier les repères temporels de cette idéologie raciste, il faut avoir à l’esprit que les frontières entre les deux pays ont été tracées en 1777. Puis Toussaint Louverture réunissait l’île tout entière. En 1805, Dessalines tentait de la réunifier. En 1822, Boyer réalisait ce vœu. En 1844, la République Dominicaine obtenait son indépendance. Depuis lors, une situation de tension régnait entre les deux pays, jusqu’à ce qu’en 1874, Haïti reconnût son indépendance. En 1929, se réalisait le tracé définitif des frontières, alors qu’une grande majorité d’Haïtiens se trouvait dans l’autre partie (orientale) de l’île. En 1936, Trujillo ordonnait le massacre des Haïtiens. D’où un regain de tensions.

Ces rappels suffisent à donner une idée des repères historiques qui structurent le discours idéologique sur l’identité culturelle en république voisine. L’histoire des deux pays est marquée par de fortes tensions politiques, frontalières et idéologiques. L’antihaïtianisme dominicain s’enracine dans ce cadre historique, qui fait l’objet d’une sorte de « muséification ». Trujillo puis Balaguer ont porté cette idéologie à son paroxysme. Aussi convient-il d’analyser le rapport à l’histoire en république voisine.

d- La conscience historique dominicaine et Haïti

La conscience historique dominicaine par rapport à Haïti est fondamentalement pathologique. Nietzsche dénonçait ce qu’il appelle la maladie de l’histoire et l’excès de son enseignement dans ses « Considérations inactuelles ». L’histoire selon lui doit être au service de la vie. Il faut transcender toute vision monumentale ou antiquaire de l’histoire pour articuler une perspective critique. En République Dominicaine, le passé est figé, n’est pas parvenu à être remis en question au profit d’un projet du futur. Au contraire, il revient sous forme de trauma. D’où la nécessité de le psychanalyser.

Il ne s’agit pas d’oublier ou de nier le passé mais de l’assumer et de le dépasser à partir du présent. Renan soutient que l’oubli est une condition de la création d’une nation. Il en est de même des relations entre voisins. Ces derniers doivent éviter ce que Todorov appelle les abus de la mémoire. Trop de mémoire empêche de construire le présent et d’avoir un rapport critique avec le passé. Certes, il y a eu des guerres, des conflits, des rivalités, des abus et des violations dans le passé, mais il faut pouvoir les dépasser pour mieux se projeter vers l’avenir.

Par ailleurs, nous nous réjouissons que la Commission Mixte Haïtiano-Dominicaine reprenne ses travaux, laquelle est née en 1996. Mais il serait opportun qu’elle traite aussi la question de la mémoire historique entre Haïti et le République Dominicaine. Car le problème entre les deux pays ne peut pas se résoudre seulement par des déclarations de principes. Le nœud gordien du « cas » haïtiano-dominicain renvoie à un problème historique et culturel. Il faut d’abord commencer par changer les mentalités avant de parvenir à stabiliser ces relations au niveau politique et économique. Un marxiste rompu dirait que j’ai tort car je ne privilégie pas les conditions économiques. Mais je lui répondrais que l’anthropologie montre que dans les sociétés primitives ou précapitalistes, les questions économiques étaient soumises aux mobiles non économiques comme par exemples les relations de parenté et des représentations religieuses. Dans son ouvrage (La grande transformation, 1944), Karl Polanyi, s’appuie sur l’anthropologie pour défendre la thèse (contrairement à la théorie économique classique) que jusqu’à la révolution industrielle, le marché n’a joué qu’un rôle secondaire dans la vie économique des différentes civilisations.

 

Mexico DF, 30 mai 2009

 

Par Glodel Mezilas [1]

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[1] Doctorant en Etudes Latino-américaines (Thèmes de recherche : idéologie, philosophie et histoire des idées en Amérique Latine ; épistémologie et sciences sociales en Amérique Latine).

http://www.alterpresse.org/spip.php?article8407

 

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