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Lettre ouverte à M.Nicolas Sarkozy à propos du général Dumas et du soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme. par Claude Ribbe

 

Monsieur le Président de la République,

J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur un compatriote injustement oublié par la République : le général Alexandre Dumas-Davy de La Pailleterie, né esclave à Saint-Domingue (aujourd’hui république d’Haïti), héros de la Révolution, défenseur des droits de l’Homme, père de l’écrivain français le plus lu dans le monde. En un mot, un Français modèle, mais aussi un modèle d’intégration.

 

Le futur général, engagé comme simple cavalier dans les dragons de la Reine sous le pseudonyme d’Alexandre Dumas, rencontra le 15 août 1789, dans la cour du château de Villers-Cotterêts, à l’endroit même où François 1er, deux cent cinquante ans plus tôt, avait officialisé l’usage de la langue française, une jeune fille qui devint une épouse exemplaire, puis une veuve courageuse, attachée à défendre la mémoire de son mari. C’est elle qui, sans moyens, éleva le second Alexandre Dumas. Ce nom fut en effet repris par le fils du général. Devenu écrivain, il transposa les exploits de son père dans des centaines de romans et en particulier dans les Trois Mousquetaires, où à travers d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis, transparaissent assez clairement les figures du général et de ses trois compagnons des dragons de la Reine : Carrière de Beaumont, Piston et Espagne. Que serait l’identité française sans les Trois Mousquetaires ?

Que peut-elle être sans le général Dumas ?

Il fut le premier Français d’origine afro-antillaise à accéder en 1793 au grade de général dans l’armée dont vous êtes le chef, Monsieur le Président de la République, et qui se dit aujourd’hui soucieuse d’ouvrir davantage la carrière d’officier à la diversité. N’avons-nous pas là un modèle idéal ?

Le général Dumas s’illustra glorieusement pendant les guerres de la Révolution, créant les chasseurs alpins alors que le gouvernement l’avait placé à la tête des quarante cinq mille hommes de l’Armée des Alpes, reprenant le Petit-Saint-Bernard et le Mont-Cenis aux Austro-Sardes, démissionnant avec honneur de son poste de général en chef de l’armée de l’Ouest pour ne pas devoir massacrer des civils vendéens, défendant seul le drapeau tricolore sur le pont de Brixen contre un régiment de cavalerie autrichien. L’ennemi l’avait surnommé le « diable noir ». Mais pour ses hommes, c’était un dieu. Pour son ami Bonaparte, c’était l’ « Horatius Coclès du Tyrol ». Dumas accompagna l’armée d’Égypte en 1798 avec le titre de commandant de la cavalerie d’Orient. Mais une brouille avec Napoléon et une longue captivité en Italie mirent un terme à cette carrière particulièrement exemplaire. Dumas scella son sort en refusant d‘accompagner l’armée chargée de rétablir l’esclavage à Saint-Domingue à la fin de l’année 1801. Il fut rayé des cadres et mourut sans récompense au début de l’année 1806, miné par le chagrin que lui causait le fait de n’avoir pas eu l’honneur, comme ses trois compagnons devenus généraux, de participer à la charge de cavalerie d’Austerlitz.

Voici ce que dit de lui l’écrivain Anatole France : « Le plus grand des Dumas, c’est le fils de la négresse, c’est le général Alexandre Dumas de La Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du Mont-Cenis, le héros de Brixen. Il offrit soixante fois sa vie à la France, fut admiré de Bonaparte et mourut pauvre. Une pareille existence est un chef-d’oeuvre auquel il n’y a rien à comparer ».

En 1838, l’écrivain Alexandre Dumas avait demandé qu’une statue de son père fût érigée à Paris, un monument financé notamment grâce à une souscription faite auprès de tous les « hommes de couleur » du monde entier. L’écrivain, qui se considérait comme Franco-Haïtien, souhaitait qu’une copie fût offerte en grande pompe à la République d’Haïti. Il avait même prévu d’accompagner jusqu’à Port-au-Prince cette statue de son père sur un bateau de guerre que lui aurait fourni le gouvernement français. Son vœu fut partiellement exaucé au siècle suivant. À l’occasion du centenaire de la mort du général, une statue fut en effet érigée sur la place du Général-Catroux, pour figurer aux côtés de la statue du fils du général et de son petit-fils (l’auteur de La dame aux Camélias). La place, qui portait le nom de Malesherbes, fut rebaptisée place des Trois-Dumas. Mais cette statue étant à la gloire d’un « sang-mêlé » l’occupant nazi, en 1942, jugea bon, dans sa logique raciste, de la faire disparaître.

En 2001, le président Chirac décida de transférer au Panthéon les cendres de l’écrivain Alexandre Dumas, ce qui fut fait le 30 novembre de l’année suivante. J’avais profité de l’occasion pour rappeler, à travers un livre, Alexandre Dumas, le dragon de la Reine, l’importance du général et l’injustice faite à sa mémoire. M. le Président Poncelet me fit ouvrir les portes du Sénat pour rendre un hommage officiel au père alors même que le fils entrait au Panthéon.

Comme vous le savez, l’esclavage a été rétabli dans les colonies françaises le 20 mai 1802, le lendemain du jour où fut créé l’ordre de la Légion d’Honneur. Deux cents ans plus tard, alors que la République s’enorgueillissait du bicentenaire de la Légion d’Honneur (tout en passant naturellement sous silence le bicentenaire du rétablissement de l’esclavage) il me semblait légitime que le général Dumas – privé de récompense à cause de ses origines et de sa couleur de peau - fût enfin honoré à titre posthume en étant élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’Honneur. Cela supposait seulement de changer quelques textes et cela ne coûtait rien. J’adressai une demande dans ce sens à M. Jacques Chirac, votre prédécesseur.

Ma démarche se solda par un refus. Parallèlement, j’alertai les élus parisiens sur la nécessité de remettre en place la statue abattue par les nazis, dont personne ne se souciait plus depuis soixante ans. Un vote unanime intervint dans ce sens en juin 2002 à la demande de M. Philippe Seguin, actuel Premier président de la Cour des Comptes. M. Christophe Girard, adjoint au maire de Paris chargé de la Culture, déclara à cette occasion qu’il fallait « réparer une diversion de l’histoire ». Le conseil de Paris avait bien décidé de remettre la statue en place, mais aucun crédit n’avait été voté.

Le célèbre sculpteur sénégalais Ousmane Sow, après avoir lu mon ouvrage, avait pourtant préparé un projet et suggéré un achat de son œuvre par la ville. J’organisai un déjeuner, le 6 juin 2004, pour que l’artiste rencontre madame Pau Langevin, conseillère du maire de Paris devenue député. Rien ne bougea. L’année suivante, je réussis à convaincre Christophe Girard de faire voter les crédits nécessaires pour qu’une nouvelle statue soit érigée, le moule de la précédente étant détruit. La ville de Paris mit alors en place un concours et Ousmane Sow présenta naturellement son projet qui, fort curieusement, n’a toujours pas été retenu.

En 2006, la République française aurait dû rendre un hommage exceptionnel au général Alexandre Dumas dont c’était le bicentenaire de la mort. Au lieu de cela, et malgré mes protestations indignées, relayées par une question écrite du sénateur Piras au ministre de la Culture, ce bicentenaire ne fut même pas mentionné au calendrier des commémorations nationales !

En 1906, pourtant, la République avait célébré le héros de Brixen. Heureusement, le département de la Savoie et les chasseurs alpins sauvèrent l’honneur de la France en organisant, à ma demande, des manifestations au Petit-Saint-Bernard.

Je m’étonne, Monsieur le Président de la République, d’une telle amnésie à l’heure où il me semble urgent de rassembler tous les Français autour de leurs figures emblématiques, sans distinction de couleur, d’origine ou de religion.

Récemment, un de mes lecteurs de Montceau-les-Mines, ancien combattant AFN, m’a adressé un courrier touchant qui exprime, j’en suis sûr, l’opinion de la majorité de nos compatriotes. « Je viens de lire votre ouvrage et je suis bouleversé, m’écrit cet homme. Le sort réservé au général Dumas et le peu d’intérêt de la France à la réhabilitation de sa mémoire me choquent profondément. J’ai lu sur la toile que vous aviez demandé au président Chirac que le général Dumas soit élevé à titre posthume grand croix de la Légion d’Honneur, ce que j’approuve sans réserve… Je me permets de suggérer que cette initiative soit reconduite auprès de l’actuel Président de la République, Nicolas Sarkozy. La France en sortirait grandie. » Ce lecteur a parfaitement raison et sa lettre m’encourage à vous écrire aujourd’hui.

Nous allons bientôt célébrer le soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Les droits de l’Homme, une idée française. Le général Dumas, opposé à la peine de mort, respectueux des civils et des prisonniers de guerre, et surnommé de ce fait par certains guillotineurs de 1793 « Monsieur de l’Humanité » en est l’une des plus glorieuses illustrations.

C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous demander, Monsieur le Président de la République, de contribuer à rendre au général Dumas la place qui lui est due dans l’histoire de notre nation et dans la mémoire de nos compatriotes.

Je propose que, pour ouvrir solennellement l’année du soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme, la statue abattue par les nazis soit solennellement remise à sa place dès cet hiver à Paris, place du général-Catroux, face au consulat d’Haïti, au cours d’une cérémonie à laquelle serait associée la mairie de Paris et qui serait placée sous votre haut patronage.

Devant les troupes assemblées – en particulier la Garde républicaine, dernier régiment de cavalerie de l’armée française et le 13e bataillon de Chasseurs alpins – en présence des enfants des écoles qui auraient congé ce jour-là, en présence aussi de tous ceux qui sont attachés à la diversité et aux droits de l’Homme, le Président de la République, en dévoilant sa statue, élèverait à titre posthume le général Alexandre Dumas à la dignité de grand-croix de l’ordre national de la Légion d’Honneur.

Conformément à la volonté de l’écrivain Alexandre Dumas, fils du général, une copie de la statue érigée à Paris serait offerte à la République d’Haïti.

Accomplissant la volonté de l’auteur des Trois Mousquetaires, vous pourriez vous-même, Monsieur le Président de la République, accompagner cette statue jusqu’à Port-au-Prince sur le pont d’un de nos bateaux de guerre qui, pour l’occasion, transporterait aussi des milliers d’exemplaires des œuvres d’Alexandre Dumas afin de les offrir aux enfants déshérités des bidonvilles.

Mon ami René Préval, votre homologue haïtien, accepterait avec joie, j’en suis certain, cette initiative de rapprochement. Vous seriez le premier chef de l’État de l’histoire de France à vous rendre dans l’ancienne colonie où notre pays a déporté un million d’Africains, une ancienne colonie qui s’est révoltée contre l’esclavage et son rétablissement, donnant ainsi une portée universelle à la déclaration des droits de l’Homme de 1789 ; une ancienne colonie qui est devenue indépendante, mais qui n’a jamais renoncé, malgré des blessures encore vives, à parler notre langue, celle d’Alexandre Dumas.

Le blog de Claude Ribbe

 

http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article3943

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