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L’histoire de l’Afrique est habitée par de nombreux personnages debout jusqu'au bout: Béhanzin, Kwamé Nkrumah, Thomas Sankara, Lumumba… Ces figures ne cheminent pas seulement l’une après l’autre dans le déroulement des temps ; un combat les lie d’une décennie à l’autre, d’un siècle à l’autre ; le même combat pour l’émancipation du continent. Un combat qui recommence chaque fois avec chacun d’eux, et qui se cristallise à chaque recommencement autour d’un lieu, d’un front, d’une heure, d’un temps donnés. Behanzin et le Benin, Nkrumah et le Ghana, Machel et le Mozambique, Mandela et l’Afrique du Sud, Lumumba et le Congo, Sankara et le Burkina Faso, Gbagbo et la Côte d’Ivoire.

La Côte d’Ivoire : la Côte d’Ivoire fut pendant longtemps un prolongement de la France en Afrique. On ordonnait de Paris et on exécutait à Abidjan. C’était du temps des Houphouët et compagnie. Houphouët-Boigny le bon chef nègre comme on les aime : féroce avec son peuple et frotte-manche, rampant, servile avec l’ex-métropole. Le vieux - comme on l’appelait - la courbette en seconde nature, portait les marques de l’Empire coloniale avec une certaine fierté ; l’aliénation était à ses yeux une gratification : « Que serions-nous sans la France ? Notre bonheur est laqué Paris», clamait-il à tout bout de champs.

Le mot colonie était périmé mais la chose continuait d’exister à Abidjan. La Côte d’Ivoire était toujours ce qu’elle avait été : une grande plantation de cacao organisée de l’extérieur. Cette histoire a duré trois décennies. Trois longues décennies. Jusqu’au surgissement au cœur du pouvoir ivoirien – en l’an 2000 - d’un certain Laurent Gbagbo. Personnage inattendu et apôtre d’une rupture définitive du pacte colonial. Cet homme au parcours sonnant comme une sédition n’était ni sergent colonel ventripotent, ni nègre bouffon sans mémoire ni vision. Embêtant ! Scandaleux ! Enervement dans certaines officines de contrainte et on regrette : on aurait dû… Quelques rafales dans le ventre ou alors un poison impitoyable versé dans un verre d’eau ou de vin et l’affaire aurait été réglée. Comme on fit avec Félix Moumié. On aurait dû... Comme on fit avec Ouandié. Avec du plomb sauvage. On aurait dû… Disparition, enlèvement. Ni vu, ni connu. Comme on fit avec Ben Barka. On aurait dû…

Et on avoue, on s’avoue : « Que voulez-vous ? Il nous semblait évident que ce gars issu d’une généalogie minoritaire était de facto, automatiquement, arithmétiquement exclu du pouvoir suprême.» Et on ergote, on pérore sur le primat, les contraintes, les exigences, les pesanteurs, les gravitations de la tribu d’origine sur le bulletin de vote. Mais là n’était plus la question : la Côte d’Ivoire était une prise, une capture, une saisie, il n’était pas question de la céder à cet homme inattendu sorti de fonderies inconnues. Le scandale ne pouvait pas durer, ne devrait pas durer : il fut décidé le plus naturellement, le plus tranquillement du monde d’œuvrer au renversement de ce Gbagbo.

La suite ? Dix ans de complots, dix ans de guerre, d’encerclement, de harcèlement. Pas un seul jour de répit. Il y’eu d’abord 2002 et cette guerre fiancée, organisée de l’extérieur. Il y eut ensuite cette guérilla diplomatique continuelle menée de Paris avec ses pièges et ses coups fourrés ; il y eut Chirac et Villepin avec leur diplomatie remplie de bruits et de proclamations belliqueuses, promettant de tordre le bras à Gbagbo ; il y eut la brutalité de Sarkozy, cette brutale volonté impériale d’écraser Gbagbo, de le soumettre à tout prix. Dix ans de harcèlement.

Mais de quel crime est donc coupable Gbagbo Laurent? Il fait désordre. Il fait désordre dans le précarré. Il fait tâche dans cet enclos, dans ce pacte de sujétion. Qu’est-ce en effet le précarré, sinon un ordre hiérarchisant qui ne reconnait pour toute respiration que l’obéissance et pour toute sagesse que le silence ? Quelle est en effet la seule ligature reconnue dans cette arrière-cour sinon l’allégeance? Que dit le précarré sinon que tout Président Nègre n’a droit à l’existence que s’il est lèche-botte, que s’il est servile, que s’il est rampant, que s’il est serpentant ? Et malheur à ce dirigeant tenté par la verticalité, tenté par les chemins de l’affranchissement ; celui-là rencontrera la froideur la plus glaciale, l’hostilité la plus terrible, l’animosité la plus furieuse, la violence dans toute sa brutalité. Il sera marqué au fer rouge comme le mal à réduire, comme le mal radical à déplanter. Car toute indocilité est considérée dans cette arrière-cour, comme une transgression inacceptable : l’Afrique. Or Laurent Gbagbo est un indocile. Là est logé son malheur. C’est donc presque de nature qu’il était condamné. Puisqu’il récusait ce statut de laquai, de valet, de majordome réservé de facto aux Présidents Nègres ; puisqu’il refusait d’appartenir au troupeau des servants.

Guerre contre Gbagbo. Au nom de la démocratie. Combat moral. Combat moral ou plutôt forfaiture ? Que voit-on en effet? Qu’à Paris, on ne s’embarrasse pas des contradictions entre les mots et les actes ; qu’un jour, on parle de démocratie bafouée à Abidjan, les tremolos dans la voix et le lendemain qui convie-t-on à table ? Blaise Compaoré. Avec au menu des discussions : le rétablissement de la démocratie en Côte d’Ivoire. Cocasse ! Cocasse quand on connait le pédigrée du sieur Compaoré : accession au pouvoir en marchant sur le cadavre de son plus-que-frère, le très populaire et intègre, Thomas Sankara. Ensuite du sang, du sang, du sang ! Un quart de siècle de pouvoir tâché de sang. Répressions sanglantes, assassinats des opposants, implication jusqu’au cou dans les guerres de Sierra Leone et du Libéria ; parrainage de l’agression contre la Côte d’Ivoire.

Mais Compaoré, voyez-vous, est notre ami, « notre allié », « notre homme ». Donc ? Donc le qualificatif de tyran, donc l’attribut de despote est impropre dans son cas. Car c’est ainsi : dès lors qu’un tyran est notre larbin, il peut séquestrer, torturer, écraser, opprimer en toute impunité, en toute liberté. La règle est implicite : la tyrannie n’est condamnable, n’est condamnée que lorsqu’elle empêche de faire du business as usual, que lorsqu’elle s’amuse à porter atteinte à certains intérêts. Démocrate ou pas démocrate, là n’est pas la question.

Les élections. Qui a gagné les élections ? Tout est déjà joué avant le dépôt du premier bulletin dans les urnes : le décor est déjà planté, le récit clôturé : Ouattara a gagné, Gbagbo a perdu, Gbagbo doit partir. La répartition des rôles est déjà distribuée ; la dramaturgie et le scenario écrits d’avance : avec en gentil vainqueur Ouattara et en figure du Mal absolu, Laurent Gbagbo, défait et mauvais perdant. Les preuves de la victoire et de la défaite de l’un et de l’autre ? On s’en moque. Les fraudes constatées ? On s’en fout. Le recomptage des voix comme demandé par Gbagbo ? Surtout pas. La supercherie serait mise à nue. Alors ? Gbagbo peut crier au hold-up électoral sur tous les toits du monde, que vaut la parole d’un Nègre, même Président d’une république, face à celle des puissants de ce monde? Gbagbo a perdu puisqu’il en a été décidé ainsi à Paris, à Bruxelles, à New York. Tout le monde sait pourtant qu’il y a mensonge ; qu’il y a eu fraude, que le vainqueur n’est pas le désigné, le bon nègre Ouattara. Le mensonge ? La vérité ? Et bien est vérité non pas ce qui est mais ce qui a été énoncé par les puissants du jour. Tout le reste, tout ce qui n’est pas certifié, tout ce qui n’a pas été certifié par Paris, New York, Bruxelles, est faux par essence. C’est ainsi. La vérité ne vaut qu’édictée par le plus fort ; la vérité est ce qui est dit, décrété par le puissant du jour.

Guerre contre Gbagbo. Guerre médiatique. Désinformation. Et on assène le même récit. La Côte d’Ivoire ? Une histoire simple et limpide : un affrontement entre deux camps : le camp du bien et le camp du mal. Le camp du bien représenté par un démocrate élu par le peuple, Alassane Ouattara, l’ange immaculé, décrit comme « un homme posé », « au débit lent » - entendez réfléchi - confronté au camp du mal mené par ce méchant personnage nommé Gbagbo. Voilà la vérité indepassable. Et toute information en contradiction avec ce prêt-à-penser est écartée, étouffée. Toute analyse qui n’essencialise pas Gbagbo comme étant forcément le perdant, nécessairement le despote, est disqualifiée, décrédibilisée, ignorée, ridiculisée, ostracisée, taxée de propagande. Odeur de chasse au courre vichyste, relent de maccarthysme.

Guerre contre Gbagbo. La guerre d’Abidjan ne sera pas déclarée : elle aura lieu. Sournoisement. En sourdine. En sous-mains. On organise, on transporte, on nourrit en armes, en munitions et en fonds des commandos invisibles, sans visages, des tireurs d’élite sortis d’on ne sait où ; on explore le terrain pour eux, on les renseigne, on leur fixe des objectifs, des cibles. Guérilla urbaine. Guerre, guérilla urbaine, guerre psychologique. Intoxication à outrance ; fausses nouvelles, bruits…

Qu’importe la terminaison du destin de Gbagbo : il demeure, il est appelé à demeurer celui qui à un moment donné de l’histoire de l’Afrique, sur un champ de bataille donné – la Côte d’Ivoire – aura reposé la question jadis formulée par les Béhanzin, les Lumumba et les Nkrumah : qui régente l’Afrique ? Qui doit régenter l’Afrique ? La France ou les Africains ? L’Europe ou les Africains ? Les Américains ou les Africains ? Les Nations Unies ou les Africains? L’enjeu est en effet, de nouveau, bien celui-là : le droit à l’autogouvernement. Un droit à affirmer et à défendre aujourd’hui plus que jamais.

Combat d’arrière-garde dans un monde qui se mondialise ? Non, combat d’actualité car combat pour l’égalité des hommes ; combat légitime car refus non pas de l’universalité en soi mais de l’universalité imposée comme droit réservé au plus fort de définir et de nommer ce qui est légitime et ce qui ne le serait pas; combat juste car affirmation du droit de chacun de penser ses problèmes et d’arrêter ses propres solutions ; combat noble car élevé par la défense du droit à différer, car guidé par un seul souci : la protection de l’intangible droit universel à l’invention de soi.

L’invention de soi : tel est le combat de Gbagbo Laurent; le combat pour l'invention de soi restera comme la marque dans la mémoire africaine de Gbagbo Laurent, l’indocile.

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