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Il   fut un temps où le Droit portait en soi le respect de l’égale dignité  de tous  les humains ; un temps où on réclamait la liberté au nom du  Droit, au nom  du Droit associé ontologiquement aux valeurs de justice  et d’équité. Le Droit  était alors cette force morale mobilisable,  mobilisée pour contester toutes les  dominations impériales, toutes les  iniquités   et oppressions ; le Droit était ce bouclier, cet étendard  haut  brandi pour affirmer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.  Que ce temps-là semble, hélas, aujourd’hui lointain, éloigné !

Désormais   seule la force des bombes est fondement du  Droit ; désormais, seule la  volonté de toute-puissance de quelques uns est  Loi fondamentale :  retour aux temps du code colonial élevant le droit du  plus fort en  droit naturel. Le message est clairement énoncé dans le fracas des   bombes jetées sur Tripoli : le Droit, dorénavant, peuples du monde,  c’est  selon le caprice, c’est selon le bon vouloir, c’est selon les  intérêts des plus  puissants. N’est dorénavant juste, légitime que ce  qui correspond et  répond aux intérêts des puissances du jour ; la seule  parole globale,  juridique, autorisée et contraignante pour tous est  désormais, exclusivement  celle des pays surarmés.

Rupture   radicale : le Droit confondu avec l’opinion des plus violents, le  Droit au  service des plus musclés, voilà le mouvement, voilà le  principe organisateur  qu’on voudrait nous imposer  aujourd’hui,  de  nouveau, comme un absolu infini, comme un absolu immuable, révélé,   indiscutable car émis de Paris, car commandé de Washington, car intimé  de  Londres.

Et   il y a dans cette brutale volonté de soumettre le reste du monde aux  quatre désirs  des coalisés de l’Otan, quelque chose qui participe de  cette éternelle  tentation de toute puissance narcissique si  caractéristique de l’histoire  impériale de l’Occident ; quelque chose  de ce fâcheux narcissisme  agressif, belliqueux, sadique qui ne  reconnait l’autre que soumis, conquis,  dominé, obéissant, à genoux ou  alors tout simplement aboli. Que nous disent en  effet, les bombes  larguées, balancées, jetées sur la Lybie ?  Que dorénavant le destin de  tout pays sans  défense dissuasive est tributaire du bon vouloir de  l’Elysée, de la Maison  blanche et de Down street; que la puissance de  juger et de tuer, la potence ou  la pitié, c’est Paris, c’est  Washington, c’est Londres ; et que toute  velléité libertaire, toute  propension à la dissidence est délit qui ne saurait  valoir à ses  auteurs qu’humiliations et mort.

Morts.   Morts les enfants libyens éclatés par les bombes de l’Otan ; mortes  les  femmes, mortes les mères, éventrées, démembrées ; morts les hommes,   carbonisés, déchiquetés. Morts ! Morts, tous brûlés, réduits en  cendre. Tués !  Oui, tués, assassinés ! Assassinés au nom de la  démocratie !  Massacrés au nom des droits de l’homme ! L’ignominie au   nom de la démocratie. Un exemple ? Un seul exemple concret ? Zliten, le   8 août 2011 : raid de l’Otan sur un quartier résidentiel. Carnage :  75  victimes dont 33 gamins.

Et   pourtant, il est dit ; et pourtant, il est écrit dans toutes les   civilisations que « tu ne tueras point » ; et pourtant il est  dit dans  toutes les cultures que le mal absolu c’est de donner la mort.  Mais  voilà maintenant qu’on vient nous dire   que ce mal ne serait plus aussi  absolu que ça, mais plutôt discrétionnaire ; car acquitté  d’office par  une raison supérieure : la démocratie. Nos jeteurs de bombes de   l’Otan: «  L’Eglise c’est le Pape, et la démocratie c’est nous ! Nous   sommes la démocratie !  Et hors notre domination, hors notre   surveillance, hors notre contrôle, point de démocratie ! Oui, tout  régime  qui n’est pas de chez nous, tout régime non façonné à notre  image, est porteur  de tous les élans dictatoriaux.»

Tout  le mal du  monde est là, ancré dans ce raisonnement, noué dans ce  discours, enraciné dans  ce charabia menaçant pour l’humanité de  l’homme, car ne parlant d’autrui que  pour le nier, n'évoquant l'autre  que pour le réduire. Tout le mal du monde est serré dans ce  baragouin  mortifère, sentencieux qui affirme que tout régime qui ne sacrifie  pas  aux mêmes rites, qui n’accomplit pas les mêmes gestes, qui ne parle pas  la  même langue que Paris, Washington et Londres n’est que folklore du  mal  dictatorial. Folklore maléfique à manipuler, maltraiter, éliminer,  annihiler,  anéantir, tuer à merci. Il faut détruire « cette chose,  cette chose-là»  car la démocratie ne saurait souffrir aucune exception.

La   démocratie prescription sans frontières. Questions : mais qu’est-ce  donc  cette obligation transnationale armée du droit de vie et de mort  sur tout  pouvoir qui ne lui revient pas ? Qu’est-ce cette nouvelle  théologie enflammée  de violence totale et de guerres tous azimuts?   Qu’est-ce vraiment la démocratie, cette « démocratie » ?  La limitation  du pouvoir par d’autres pouvoirs ? Non. Le combat contre  l’arbitraire ?  Non plus! Mais alors ? C’est très simple : Quand  l’Otan dit  démocratie, démocratie dans le monde, l’organisation pense  soumission.  Oui, quand Paris dit, quand Londres dit, quand Washington dit   démocratie, traduisez tout de suite : hégémonie sans frontières,  « universalisation  de nos intérêts »! Oui, Sarkozy et les démocrates de  Washington disent démocratie dans le monde comme Voulet et Chanoine  disant  en leur temps civilisation. Même vision de la planète, mêmes  instincts, mêmes  pulsions, mêmes justifications, mêmes ambitions, même  ressorts. Oui mêmes ressorts.

Car   ne nous y trompons pas : derrière cette nouvelle bigoterie fanatisée,   intégriste, cannibalesque qui se dit humanitaire, se terre des mobiles  d’une  nature plus abrupte, plus terre-à-terre,  moins idéelle : la  cupidité, la soif  inextinguible du profit,  la domination,  la  restauration coloniale. On veut le pétrole de la Libye. Alors tout est   bon : mystifications, impostures, l’éthique traficotée, la propagande   colportée, répandue, propagée de média à média : « Kadhafi a bombardé   les populations civiles libyennes » ; « Kadhafi a fait des  dizaines ;  non, des centaines ; non, un millier ; non, des  milliers de morts ! »

Flots   de mensonges, torrents de mensonges déversés dans les medias ; les  médias  mis au service du mensonge ; le mensonge usiné, produit,  distribué en  masse ; le mensonge répété, multiplié, diffusé à l’infini.  Falsification  des faits, mépris total et absolu de la vérité ;  tromperie froidement organisée,  régulée, calculée, marketing de la  guerre ; bannissement de la  vérité. C’est que l’enjeu est majeur :  l’opinion est une force qu’il faut berner,  qu’il faut manipuler, duper,  abuser, tromper afin de manœuvrer en toute  impunité. L’entendement  humain doit donc être charmé ; les cerveaux  doivent être possédés ;  l’opinion doit être dépossédée de ses yeux, dépossédée  de ses oreilles,  dépossédée de son jugement, dépossédée de sa capacité de  douter! Il  faut mystifier la raison humaine ; il faut rendre la future  agression  naturelle, normale, banale, morale. La réalité doit être diluée et le   mensonge érigé, institué en réel.

Alors :   internement de l’opinion dans un discours médiatique unique imposé à  toutes les  plumes, imposé à toutes les lèvres ; haro sur tout autre  discours  susceptible de fissurer, de bousculer le pouvoir des puissants  du jour de  décréter le réel. Tout discours contradictoire, tout  discours non aligné sera  asphyxié, ostracisé, ridiculisé. Le mensonge  doit devenir réalité :  « Kadhafi a bombardé les populations civiles  libyennes.» Viol verbal de la  vérité qui en annonce un autre.

La   suite ? La réalité renversée, culbutée, la volonté du plus fort peut  se  mettre en actes : sous le fallacieux prétexte de protection des   populations civiles menacées, on peut décoller, franchir la ligne de   souveraineté du corps de cette terre libyenne, planter, déverser bombes  sur  bombes dans ses entrailles. Avec rage et sauvagerie.

Ainsi   Tripoli bombardée ; ainsi Tripoli terrorisée, martyrisée pendant six  mois!  Et chaque jour le même discours : tant que Kadhafi ne se sera pas  accusé  du crime qu’il n’a pas commis, nous continuerons de bombarder  Tripoli ! Ainsi  Tripoli réduite en cendres. « Tant que Kadhafi…  Il  faut que Kadhafi ratifie notre accusation…  Il faut que Kadhafi avoue  qu’il est bel et bien un odieux dictateur… Il faut  que Kadhafi… Que  Kadhafi quitte le pouvoir… Qu’il quitte le pouvoir sinon… Sinon  nous  continuerons de bombarder Tripoli... Sinon nous continuerons de  tourmenter Tripoli. Sinon…  Les bombardements vont se poursuivre. Sinon…  nous frapperons ses proches… Sinon…nous  frapperons sa famille ; nous  frapperons ses enfants. »  Le 30 avril, trois missiles sur la maison de  Saïf  al Arab, le plus jeune fils de Kadhafi. Saïf assassiné avec ses  trois enfants. Meurtre  prémédité. Le terrible crime commis par les  victimes? Etre nés fils et  petits fils de Kadhafi. Crime de filiation.

« Tant   que Kadhafi…  Kadhafi doit… » On  frappe, on mutile, on estropie.  Terreur. Terrorisme du muscle. Fracas des  bombes. On frappe, on  étrangle, on tue. « Tant que Kadhafi… »  Vingt mille libyens tués.  « Tant que  Kadhafi… »  Chasse aux Noirs. « Tant  que Kadhafi… »  Les  Noirs, tous les  Noirs Libyens pourchassés. Pourchassés dans Benghazi,  pourchassés dans Misrata,  traqués dans Ras Lanouf, traqués à Brega,  traqués, massacrés, massacrés les  mains attachées, liées derrière le  dos, massacrés par des rebelles mis au monde par la France  en couche  étrangement avec des féodaux nostalgiques de l’ancienne royauté et des   éléments d’Al-Qaïda. On combat Al-Qaïda en Afghanistan et au Maghreb et  on fait  le coup de feu avec lui en Libye. Etrange paradoxe. Les troupes  les plus  performantes de cette rébellion ? Des anciens d’Afghanistan,  des anciens de  Tchétchénie, des anciens du Soudan; des salafistes du  Maghreb. L’officier le plus efficace de la  rébellion ?  Abdel Hakim  Belhadj,  fondateur du GICL, le Groupe islamique combattant de Libye,  membre de la  mouvance Al-Qaïda, connu de tous les services de  renseignement.

On   injurie, on exècre les djihadistes en Afghanistan et on les loue comme  des  révolutionnaires humanistes dès lors qu'ils sont regroupés dans le  CNT  libyen ; le CNT, ce mouvement très hautement démocratique aux  ambitions  extrêmement nobles : purger la Libye de tous ses Nègres,  purifier la Libye  de tous « ses esclaves à la peau noire ». Ibrahim  al-Halbous,  commandant de la rébellion : « Il faut que les Noirs  libyens fassent leurs  valises ». Purification raciale ouverte,  déclarée, assumée au grand jour, assumée  devant toutes les caméras du  monde. C’est que la démocratie est en marche et qu’au  nom de la  démocratie, on peut tout ; au nom de la démocratie, tout est  permis.

Le   racisme explose donc dans toute sa brutalité dans les villes arborant  le  drapeau tricolore et la bannière étoilée ; l’orgie  klux-klux-klanienne  bats son plein à Benghazi ; on s’arroge le droit de  tuer les peaux  noires ; on tue les Noirs parce qu’ils sont Noirs. On  tue les Noirs en  toute bonne conscience, en toute impunité. Et pendant  ce temps-là que fait-on à  Paris ; que fait-on à Washington ? On  plaisante, on rit, on boit, on  se congratule. Les Noirs peuvent être  massacrés ; les Nègres ne comptent  pas ; ils sont peu de choses.  Silence du côté de la Cour Pénale  Internationale.

Silence   du côte de cette cour si prompte pourtant à aboyer sur Kadhafi et ses   partisans. Normal. Qu’est-ce en effet cette fameuse cour internationale  sinon  un outil bricolé par les pays dominants afin de légitimer la  reproduction de  l’ordre mondial actuel ? Oui, qu’est-ce cette CPI,  sinon une juridiction discriminatoire,  une cour ségrégationniste, une  institution destinée à juger les dirigeants des  pays faibles ? Le  message de cette Cour est très limpide: tout chef d’Etat de  pays non  doté d’une défense dissuasive peut être arrêté, de jour ou de nuit,   arrêté sous n’importe quel prétexte, arrêté, ficelé, ligoté et déporté  pour  être jugé et condamné comme le vulgaire malfrat du coin. Par  contre, tout  suppôt au service des puissances du jour ou tout chef  d’Etat d’un pays puissant  peut, lui, massacrer, tuer allègrement à coup  de machettes, de bombes   lasers ou de drones, la CPI ne se sentira en  aucun cas concernée  par cette barbarie-là. Ses auteurs ne seront jamais  accusés de crime de guerre,  de crime contre l’humanité : bien au  contraire,   ils seront honorés,  glorifiés, commémorés, ovationnés et  couverts de médailles : « gloire  aux messies sauveurs et libérateurs de  l’humanité » !

On   tue donc les Noirs dans les territoires libyennes libérées par les  bombes de  l’Otan et, à Paris, à Washington, à Londres, on festoie : la  machine  démocratique occidentale cuirassée de plomb est en marche en  terre libyenne. Et quand Kadhafi  et l’union africaine proposent l’arrêt  des combats et la négociation, on  s'esclaffe, on rigole. Désolé, on  est occupés, très occupés.  On  verra plus tard. Pour l’instant, on est  occupés. On voulait cette guerre. On  voulait cette guerre depuis le  début, alors pas de temps à perdre. On est  occupés. Occupés à  bombarder ; occupés à transformer ce pays en gouffres  et en fumées ;  occupés à démolir. A démolir les hommes, à démolir les  femmes, à  démolir les enfants, à démolir les ponts, les hôpitaux, les routes. On   démolit et on célèbre. C’est étrange mais c’est ainsi : il est des âmes   ainsi faites : détruire leur procure une incompressible et   incompréhensible jouissance. Jouissance mortifère sur les plateaux de   télévision, jouissance exhibée dans les colonnes de journaux. Spectacle   obscène : d’un plateau à l’autre, d’une colonne à l’autre, quelques  petites  gueules voraces posent et s’exposent. Soucieux de leur  apparence sur les  pellicules de l’histoire, agités de se montrer, ils  commentent, glosent sur la  chute de Tripoli. Avec une certaine  délectation jubilatoire,  avec un certain plaisir haineux, sadique. Les   bombes larguées sur Tripoli, c’est bon, trop bon, n’est-ce pas ?

Ils   parlent en Maréchaux ; fantasme d’omnipotence, sentiment de   toute-puissance: « Sommes-nous satisfaits ? Oui. Très satisfaits.  Sommes-nous  justifiés ? Oui, plus que justifiés ! Puisque la démocratie  est en  marche en Libye ; puisque la démocratie a été mise en actes ;  puisque  Tripoli a été libérée. C’est une très belle journée. » La  raison vaincue  par la folie des grandeurs, l’œil torve entre deux  exhibitions médiatiques et  deux campagnes électorales, nos universels  démocrates posent en nombril du  monde : show médiatique, slogans,  perversion de la réalité et du sens des  mots : « Regardez !  Regardez-nous : admirez-nous ! Par  ici les caméras ! La  bonté humanitaire debout pour la défense de  tous les malheureux de ce  monde? C’est nous ! Les protecteurs globaux  au bon cœur et à la juste  cause ? Encore Nous ! Oui, Nous !  Nous ! La preuve? A Benghazi : ils  crient vive la France !»

Terrible   constat : on croyait l’élan colonial, cette abomination honteuse,  aboli à  jamais ; on croyait l’Afrique et le monde protégés pour  toujours du rapt colonial ;  on croyait… N’était-il pas gravé dans le  Droit international qu’aucun Etat n’a  le droit de contraindre un autre  Etat à subordonner l’exercice de ses droits  souverains ?  N’était-il  pas souligné  et re-souligné dans la Charte des Nations Unies qu’aucun  Etat n’a le droit  d’organiser, de fomenter, de financer, d’encourager,  de tolérer des activités  subversives ou terroristes destinées à changer  par la violence le régime d’un  autre Etat ? N’était-il pas dit et  reconnu par toutes les instances  internationales qu’aucun Etat n’a le  passe-droit de renverser le gouvernement  d’un autre Etat, même en  alléguant que ce pouvoir-là ne répondrait pas à la  volonté de son  propre peuple ? N’était-il pas consigné dans la Charte des Nations   Unies  que le recours à la guerre ne  saurait être le moyen approprié  pour veiller ou imposer le respect des Droits  de l’homme ? N’était-il  pas admis que l’égalité de droit de tous les Etats  était un principe  sacré, intangible du droit international ? On croyait la  récidive  coloniale donc impossible, impensable ; on croyait la conscience   humaine en progrès ; on croyait….

Et   voilà qu’on découvre soudainement, au détour d’abord de la guerre  contre  la Côte d’Ivoire puis de cette guerre de l’Otan contre la Libye,  qu’en réalité,  il n’ya jamais eu dans certains esprits de coupure, de  séparation claire,  définitive entre l'hier colonial et aujourd’hui ;  qu’en réalité la volonté impériale est  toujours tapie dans l’ombre,  tapie dans les coulisses, guettant son heure, les  muscles tendus, la  mâchoire acérée, prête à ressurgir, à bondir toutes griffes  dehors, la  violence déchaînée et sans retenue ; prête  de nouveau à tout détruire  pour posséder. Voilà  qu’on réalise brutalement qu’au-delà de ses  nouveaux attributs et visages, la  volonté coloniale est loin d’avoir  changée de nature depuis la dernière  fois : même pulsion d’emprise,  même obsession de domination, même violence  pulsionnelle, même  voracité, même soif démesuré, inextinguible du profit. Mais  plus  inquiétant, c’est que, depuis la dernière fois, elle a gagné en  malignité gangrenant  jusqu’à la racine l’inconscient collectif,  rongeant jusqu’à la moelle les  défenses immunitaires de la conscience  humaine. Honnie et mise à l’index hier,  cachée comme on cache une  maladie honteuse, la voilà maintenant vantée, chantée  comme on chante  une épopée héroïque, humaniste, chevaleresque !

Et   ses victimes ? Les milliers de morts tués de mille morts ; les vies   réduites en lambeaux à coups de bombes à Tripoli, à Misrata, à Brega et   ailleurs ? Protestation outrée, protestation  véhémente de nos  Messieurs de Paris, de Washington et de Londres: «  Mais  donner la mort  n’a jamais figuré dans nos objectifs. Qui ne sait d’ailleurspas que  c’est pour sauver des vies humaines que nous sommes là-bas? Aucune tâche   de sang sur nos mains. Même Kadhafi n’est pas notre cible ! »  Mains  propres, immaculées  donc ; nuits  calmes, paisibles, sereines,  consciences tranquilles. Vraiment ? Sûrs? Sûrs et certains de n’avoir  jamais tué ? Oui, tuer. «  Mais fichtre,  de toutes les façons, nous  sommes à l’aise : la guerre, la tuerie est un  mal nécessaire dans  certaines circonstances historiques et puis nous n’avons  fait –  après-tout - que tuer des viles créatures. C’est notre dû, que   disons-nous, notre honneur ! » La tuerie magnifiée, louée, prônée,   légitimée comme exception humanitaire ! C’est ainsi : quand la  raison  de la force devient loi, l’humanité se perd, l’humanité recule et   s’enfonce vers des dédales lugubres et caverneux.  Les dédales du profit  maximum. Au milieu du  fracas des bombes, les multinationales du  pétrole s’affairent déjà autour de la  Libye. Exon, Total, BP, Eni,  Shell… Maîtres du capital, du sous-sol, de l’or  noir. Curée, ruée vers  le pétrole, vers le gaz, vers le magot libyens. Le poignard est  dans la  gorge de l’animal. Chacun veut sa part ; chacun aura sa part. Des   nouvelles lois garantissant l’ouverture du marché libyen sans aucune  condition aux  capitaux qui veulent investir dans le sous-sol libyen  seront bientôt adpotées, édictées. Il  s’agissait d’agrandir le  périmètre du monde libre et démocratique, n’est-ce  pas ?

Et   maintenant ? Une interrogation demeure: pourquoi, oui pourquoi ?   Comment l’inacceptable d’hier – la récidive, la restauration coloniale  -  a-t-il pu être imposé ainsi, aussi facilement  comme une nécessité  humanitaire ? Comment expliquer le succès de cette duperie ?  Quelle est  l’énigme tapie derrière le succès de cette entreprise de  mystification  générale ? De quoi cette mystification est-elle le  symbole ? Trois  possibles réponses.

[I]Primo :[/I] La mutilation de l’esprit critique par une  redoutable technologie  planétaire de manipulation des consciences, de  massification du  mensonge. Jamais sans doute, les mots n’auront été autant usés,   utilisés  pour dire le contraire des  réalités. C’est que le pouvoir de  dire le réel est de plus en plus un pouvoir  censitaire propriété  exclusive de quelques tartuffes qui parlent à tout vent de  droits de  l’homme et de démocratie et qui, pratiquent dans les faits, le   contraire. Tout le contraire. Tripoli a été bombardée, la Libye a été   saccagée  non pas - comme à l’époque des  Voulet- Chanone, Léopold II et  bien d’autres conquérants,– non pas au nom de la  suprématie d’une  race, mais au nom d’une idéologie qui se veut humanitaire, au  nom de la  défense d’une haute idée : la démocratie. Procédé plus vicieux   dissimulant le même totalitarisme que celui des massacreurs de Sétif,  des  tueurs de Madagascar, de la sauvagerie de Léopold II au Congo sous  un paravent  humanitaire ; procédé plus retors, plus difficile à  exposer,  à dénoncer, à combattre qu’un discours  classique affirmant le  droit de conquête comme un droit naturel, comme un droit  racial.

[I]Deuxio :[/I] Il faut le rappeler l’inconscient collectif  occidental demeure  traversé, habité, hanté par des vestiges d’un certain  racisme, héritage  du passé colonial. Une frange de l’opinion des pays du Nord  est  manifestement toujours, encore imprégnée, gangrenée par une certaine  vision  de « ces pays là-bas », « ces pays étranges dont l’essence  politique  primitive ne saurait être que régime dictatorial ». Et cette  opinion-là  est flattée, exaltée dans sa conscience de groupe, chaque  fois qu’on lui susurre  à l’oreille ce qu’elle souhaiterait entendre :  qu’elle appartient encore  au monde des plus puissants,  qu’elle   appartient au monde mandaté pour définir et fonder la règle du bien et  du mal ;  qu’elle appartient – dans ces guerres transformées en jeu  vidéo - au camp des  bons, des gentils  en prise avec ces  « étranges,  méchants et menaçants barbares ».

[I]Tertio[/I] :  Il faut le dire aussi : l’agression  contre la Libye pose la question  des failles et des limites des dirigeants  africains. Toute l’Afrique a  été outragée, pietinée, rabaissée à Tripoli, et qu’ont  fait nombre de  dirigeants Africains ? Ils ont choisi de regarder ailleurs espérant   ainsi – sans doute - sauvés leurs propres têtes. Naïveté politique,  ignorance  de l’histoire : l’obéissance n’a jamais sauvé aucun mouton de  l’abattoir  impérial. Le sacrifice de la Libye a été nourri – dans une  certaine mesure -  par ces silences-là, par ces désapprobations à peine  audibles, par ces nombreux  abandons et lâchetés africaines. Tambo  Mbeki, une des rares voix africaines  courageuses, le dit bien : « La  question que nous devons nous poser est la  suivante : pourquoi  sommes-nous si silencieux ? Ce qui est arrivé en Libye peut  très bien  être un signe précurseur de ce qui peut arriver dans un autre pays.  Je  pense que nous devons tous examiner ce problème, parce que c'est un  grand  désastre. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes incapables  d'empêcher ces  pouvoirs occidentaux d'agir comme ils agissent parce  qu'ils agiront de cette manière  demain. Je pense que nous pouvons,  pourvu que nous agissions et qu'ils voient  que s'ils continuent ce type  d'actions, ils rencontreront la résistance de tout  le continent  africain. Mais malheureusement, notre voix est trop faible et nous   devons faire quelque chose pour la rendre plus forte et pour revendiquer   clairement le droit des Africains de décider de leur propre avenir. »

Et   maintenant ? La guerre, toute guerre aussi brutale et totale, engendre  des  souffrances et des tragédies indicibles. Elle laisse des blessures  indélébiles,  inguérissables dans les corps et les mémoires. La terre  de Libye ne fera pas  exception : elle restera longtemps marquée par ces  coups de bombes  infligés par la France, les Etats Unis et  l’Angleterre. Mais que sortira-t-il demain  de toutes ces blessures?   Que  sortira-t-il de toutes ces humiliations ?  Que sortira-t-il des  décombres actuels ?  Une autre guerre sans doute. Car il en est ainsi :  toute guerre coloniale,  toute velléité de domination, d’occupation  coloniale lève tôt ou tard des  troupes contre elle-même ; des troupes  n’ayant plus rien à perdre, des  troupes n’ayant pas, n’ayant plus  d’autre choix, des troupes déterminées à lui  faire face, à la  combattre, à l’acculer. A la vie, à la mort. Les conquérants  viennent  un jour et dictent le silence par la force du plomb puis un autre  jour,  le conquis se lève, retrouve et sa voix, et sa mémoire et sa terre.

Et   maintenant ? La scène internationale semble hélas, de nouveau prête  pour  accueillir d’autres Libye. Mensonges, agressions, violences,  guerres… Des pays  saisis les uns après les autres par la force brutale  de l’Otan.  Les mensonges vont se suivre ; les  guerres vont se suivre.  Répétition. Le risque de la répétition est là, réel,  palpable,  tangible. Les guerres vont se suivre car il n’y a plus pour Sarkozy,   Cameron et Obama de loi internationale qui tienne. L’ère des égorgements  –  commencé avec les bombardements sur Abidjan - va continuer si nous  acceptons sans  aucune protestation l’imposture libyenne. Avaler et  couvrir cette agression par  notre silence, par notre indifférence et  passer aussitôt à autre chose, ce  serait accepter la restauration de la  barbarie coloniale ; ce serait  ratifier la redéfinition de l’homme ;  ce serait approuver cette idéologie  qui dit qu’il est des hommes plus  égaux que d’autres, qui affirme qu’il est des  hommes nés pour commander  d’autres ; ce serait ratifier le retour à la loi  de la jungle, le  retour à la loi du plus armé ; ce serait  entériner la remise en  question du droit des  peuples, de tout peuple à disposer de lui-même.  Or aucun peuple ne saurait être  la propriété d’un autre peuple ; or  aucun pays ne saurait être la  possession d’un autre pays. Notre devoir  d’homme est de le rappeler  aujourd’hui. A haute et intelligible voix.

David Gakunzi

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